Lorenzo Mattotti et Claudio Piersanti nous livrent le récit d’un homme dont la vie va radicalement changer lorsque des stigmates vont apparaître au creux de ses mains. Ressenties comme une punition divine au début, ces blessures le mèneront sur le chemin de la rédemption. Pour cet homme paumé et malmené par la vie, cette seconde chance sonnera comme autant d’épreuves à la fois divines et diaboliques.
Orphelin et alcoolique, « P » (c’est ainsi qu’il se fait appeler) est en marge de la société. On ne lui connait pas de prénom et on ne lui prédit pas d’avenir. Déjà au fond du trou, sa vie va encore plus basculer lorsque des stigmates vont apparaître au creux de ses mains. Pas de douleur mais beaucoup de sang qui coule et le regard oppressant des autres sur cette blessure inexpliquée et inexplicable.
On va alors le prendre pour une sorte d’ « élu » capable de guérir les autres de toutes les maladies grâce à ses mains divines. Mais refusant d’être pris pour un mystique ou un Saint, il va fuir, pensant laisser derrière lui tous ses problèmes.
Mais tout cela n’est qu’illusion. Il connaîtra quelques rares moments de bonheur dont son mariage avec Lorena, mais le sort s’acharnera de nouveau sur lui. La suite est inéluctable. Détruit par la vie et totalement replié sur lui-même, il sera recueilli dans un hôpital de la région et c’est grâce au soutien sans jugement d’une Sœur qu’il se reconstruira petit à petit.
Nul n’échappe à son destin
Chercher à le fuir, c’est se mentir à soi même, il faut l’accepter et vivre avec. C’est que comprendra « P » après toutes ces épreuves, car « Stigmates » est avant tout l’histoire d’une fuite : celle d’un homme qui, pour échapper à son destin, a décidé de partir.
Edité d’abord en version courte dans un album collectif en 1994 , « Stigmates » a ensuite été enrichi et republié au Seuil en 1998. Dans cette version plus longue au format « one shot », Claudio Piersanti et Lorenzo Mattotti développent toute la partie centrale du récit. La fuite de « P », son mariage avec Lorena et les (rares) moments de joie, sa descente aux enfers avec le viol de Lorena et sa noyade un soir d’intempéries… Toute la dramaturgie de cette histoire est décrite dans cette partie qui fait gagner au récit en intensité et en profondeur. La fin quant à elle, est légèrement modifiée par rapport à la 1ère version, mais l’idée reste similaire. Tel un « survivant », il va raconter son histoire et témoigner auprès de ceux qui sont en marge de la société pour tenter de les faire sortir de la galère.
P comme…
Pourquoi le personnage principal s’appelle « P » ? Peut-être pour renforcer le fait qu’il ne sait pas encore, au fond de lui, qui il est vraiment. Peut-être aussi parce que la plupart des maux qui le touchent ou les étapes par lesquelles il a dû passer, commencent elles aussi par un P :
P comme Plaies, comme Punition
P comme Patient, Psychiatrie
P comme Paumé, Pochtron, P comme Personne
P comme Pieux, Pitié
P comme Purification
P comme Paix intérieure
Un dessin écorché vif
On connait beaucoup Lorenzo Mattotti pour son travail magnifique sur la couleur (« Feux », « Labyrinthes », « Docteur Jekyll & Mister Hyde »…) et ses nombreuses illustrations aux pastels. Mais dans « Stigmates », c’est le N&B qui domine en maître, sans aplats et sans demi-mesure.
D’un côté, il y a un graphisme tout en courbes, très charnel, avec des personnages aux contours plutôt arrondis et des postures très théâtrales. De l’autre, il y a un trait à vif, une sensibilité exacerbée et des pages lacérées d’encre noire. Chaque trait est comme une lacération qu’il inflige au papier et au personnage.
« Cette histoire est dessinée à coups de griffes, d’épines, de gribouillis ; car la vie de son héros n’a été que cela : une forêt de barbelés aride et confuse. »
Au-delà de l’histoire, « Stigmates » m’a aussi touché parce que Mattotti réussit à mettre en tension permanente ces 2 aspects de son écriture graphique. Chaque page est un combat pour dessiner cet écorché vif et parvenir à maintenir ce fragile équilibre entre espoir et autodestruction.
Informations pratiques
- : Stigmates
- Lorenzo Mattotti & Claudio Piersanti
- one shot
- Seuil
- 1998
A lire aussi, cette très belle chronique sur du9
Pour en savoir plus sur Lorenzo Mattotti