Né dans les montages du Kosovo en 1956, Gani Jakupi a quitté son pays pour s’installer en Espagne puis en France. Quinze ans après la fin du conflit qui a frappé les Balkans, il est envoyé dans son pays natal par un magazine espagnol pour faire un reportage.
Refouler la terre de son pays natal après l’avoir quitté brusquement 15 ans auparavant à cause d’une guerre est une terrible épreuve. Gani Jakupi le sait et il appréhende ce moment où tout ce qu’il a enfoui dans un coin de sa mémoire va ressurgir violemment. Ce moment où les souvenirs d’enfance vont laisser place aux villes éventrées, aux massacres et aux familles anéanties par la guerre. Naïvement, il se dit que le reportage qu’il doit faire là-bas lui permettra peut-être de se protéger de tout cela… Mais 15 ans après, la souffrance est encore très présente dans le cœur de Jakupi.
Un conflit ethnique complexe…
Dans ce témoignage qui plonge le lecteur dans un pays qui a été mis à feu et sang, les tenants et les aboutissants de cette guerre restent malgré tout difficiles à comprendre (et ce, malgré les notes fournies par Jakupi à la fin de l’ouvrage) Et même s’il essaie de rester le plus neutre possible dans le récit, son objectivité est hors de propos car c’est son cœur qui parle avant tout.
Les scènes de dialogue sont rares et dans un souci de pédagogie, c’est en voix off que s’exprime principalement Jakupi, ce qui lui permet de mieux expliquer le contexte même s’il y a parfois des informations assez complexes à assimiler pour le lecteur. Et comme le reportage est construit au fil des rencontres, cet aspect « sans montage » ajoute une certaine aridité à la narration.
…et un traitement graphique qui le transcende
« Retour au Kosovo » traite d’un sujet douloureux qui est mêlé à l’Histoire géopolitique des Balkans. Et pour rentrer dans cette histoire complexe, le dessin très expressif de Jorge Gonzalez est une porte d’entrée fabuleuse !
Son style est une invitation pour notre imaginaire. Très éloignée du réalisme journalistique ou d’une précision qui serait inutile, son approche colorée directe et audacieuse couplée à l’utilisation de pastels gras lui permet de poser des ambiances très différentes avec une intensité remarquable. On ressent les choses plus qu’on ne les observe. Un peu comme un glacis en peinture à l’huile, les différentes couches qu’il pose sur le papier amènent une vibration qui apporte de la profondeur et de l’intensité aux décors (à ce titre, les scènes de bombardement ou les scènes nocturnes sont exceptionnelles) Les personnages quant à eux sont parfois à peine esquissés, et certains en deviennent quasiment transparents, comme des fantômes qui errent ici bas, coincés entre deux mondes.
« Partager cette histoire avec les autres me semble la meilleure manière de m’accorder l’oubli dont j’ai besoin. »
Raconter sa souffrance pour l’oublier
Plus qu’un simple reportage dessiné, on ressent « Retour au Kosovo » comme un acte cathartique qui permet à son auteur, Gani Jakupi, de se débarrasser définitivement des démons du passé. La blessure est encore à vif mais le témoignage est là, sincère, poignant et plein d’humanité. Et si Jakupi peut enfin passer à autre chose, il appartient maintenant aux futures générations de ne pas oublier.
Informations pratiques
- Retour au Kosovo
- Gani Jakupi et Jorge Gonzalez
- one shot
- Dupuis (collection Air Libre)
- 2014