Perramus fut la 1ère collaboration entre Alberto Breccia et Juan Sasturain. Ce dernier, journaliste et écrivain de polar, n’avait jamais écrit de scénario de bande dessinée auparavant mais il releva le défi. Les différents chapitres qui constituent Perramus ont été publiés dans plusieurs revues entre 1982 et 1989. En France, Glénat a publié en 4 tomes l’intégrale des aventures de Perramus en 1990 (« Le pilote de l’oubli », « L’âme de la cité », « L’île au guano » et « Dent pour dent »).
Oublier le passé pour continuer à vivre
En pleine nuit, un homme va laisser ses compagnons de révolte se faire assassiner par la dictature militaire. Il voudra se racheter dans les bras d’une prostituée connue pour faire oublier le passé à ses amants. Ainsi sera Perramus, un homme sans mémoire qui va parcourir le monde en quête de rédemption.
Sur sa route, il va rencontrer Canelones (un nègre grand et fort), « l’Ennemi » (un aviateur rescapé d’une île) et Jorge-Luis Borgès en personne (à qui Breccia et Sasturain ont rendu la vue). Avec eux, Perramus va croiser des personnages célèbres (Fidel Castro, Henry Kissinger, Frank Sinatra, Gabriel García Márquez…) et vivre des aventures rocambolesques qui vont l’emmener aux quatre coins du monde.
Faire acte de résistance
Perramus est une grande fresque sur l’Amérique du Sud dans laquelle les auteurs ont transposé tous les mythes et symboles qui leur sont chers :
- le tango avec entre autres, Carlos Gardel et Osvaldo Pugliese ;
- la littérature sud-américaine avec Jorge-Luis Borgès, Juan Carlos Onetti et Gabriel García Márquez ;
- la passion du football ;
- le colonialisme et l’influence des Etats-Unis avec Kissinger, Reagan mais aussi Frank Sinatra, les productions hollywoodiennes de westerns et leurs machines à rêves.
Mais écrit dans un contexte de répression militaire et politique, Perramus est aussi un acte de résistance et un cri de révolte.
« La principale raison qui m’a poussé à commencer Perrramus a été le besoin de témoigner de tout ce qui s’était passé en Argentine à l’époque de la dictature militaire. C’était mon devoir de le faire. Le dessin c’était, et c’est encore, ma seule arme. Avec cette arme, je proteste. » [1]
Témoigner et résister, avec le dessin comme seule arme. Telle était l’ambition de Breccia et Sasturain.
Une maîtrise graphique du noir & blanc
La mort, personnifiée par les Maréchaux dessinés avec des crânes à la place des têtes, peut surgir à tous les coins de rue, on perçoit la violence dans la nuit épaisse et noire d’encre de Chine, et la désolation se ressent dans la ville triste et grise de Santa-Maria :
« J’ai réalisé Perramus au lavis, avec plein de nuances de gris, parce que Buenos Aires, pendant la répression, s’éteignait ; les teintes nettes, le noir et le blanc, disparaissaient. La ville devenait grise, perdait son âme. Tout était gris de peur et de silence. »[2]
Chez Breccia, il y a dans chaque case un soucis du détail et une finesse qui cohabitent avec des procédés graphiques assez rustres, voire parfois grossiers (papier déchiré, mélange de colle et d’encre, dessin avec un rasoir, grattage du papier, utilisation d’un sèche-cheveux ou d’un morceau de bois pour créer des effets…)
Certaines cases sont parfois illisibles si l’on ne prend pas un peu de recul pour apprécier à sa juste valeur l’ensemble de la page. Breccia joue avec les pleins et les vides, alterne peinture et collages. Il dessine avec la matière et compose chaque page tel un photographe joue avec la lumière. En Maître de la BD Argentine, il maîtrise véritablement son art du noir et blanc.
Un témoignage sur la dictature militaire
Très sombres au niveau du scénario, les 2 premières histoires (« Le Pilote de l’oubli » et « L’Ame de la cité ») ont été écrites pendant une période abominable de l’histoire de l’Argentine (dictatures militaires et assassinats…) Les 2 dernières en revanche (« L’île au guano » et « Dent pour dent ») ont été publiées à partir de 1983 – c’est-à-dire après le retour de la démocratie au pouvoir – et laissent plus de place à l’aventure.
Faut-il voir là une lueur d’espoir ? Dans leur dernière aventure, les 4 héros doivent reconstituer le sourire de Carlos Gardel en retrouvant 10 de ses dents de par le monde. Mais ce sourire, n’est-ce pas plutôt celui de l’Argentine ? Celui qui symbolise le retour de la démocratie et le l’espoir d’une vie meilleure ? Peut-être…
De par son histoire, son contexte politique, ses auteurs et son style, Perramus est un roman graphique extraordinaire, un poème sur l’aventure humaine. Une œuvre que tout amateur de bande dessinée devrait connaître. Sans aucun doute…
Notes et références
[1] : Alberto Breccia dans « Ombres et lumières », Vertige Graphic, 1992.
[2] : Alberto Breccia dans « Ombres et lumières », Vertige Graphic, 1992.
Informations pratiques
- Perramus
- Alberto Breccia et Juan Sasturain
- 4 tomes (« Le pilote de l’oubli », « L’âme de la cité », « L’île au guano » et « Dent pour dent »)
- Glénat
- 1990