PARTIE DE CHASSE, de Pierre Christin et Enki Bilal

Publié 6 ans avant l’effondrement du mur de Berlin, « Partie de chasse » est une fiction qui préfigure l’effondrement du bloc de l’Est. Avec cette œuvre majeure qui pose un regard socio-politique sur le monde, le duo Bilal – Christin démontre une fois de plus que, la bande-dessinée mérite bien son surnom de « 9ème Art ».

Un huis clos historique

Alors que le train s’enfonce dans la taïga, le manteau de neige devient l’unique paysage qui accompagne Vassili Alexandrovitch Tchevtchenko, Evgueni Golozov et un jeune étudiant français qui leur servira d’interprète. Cette rencontre entre « vieux amis » membres du COMECON, a lieu à côté de Królówka, dans une vieille demeure isolée au milieu de la forêt polonaise.

Les invités arrivent au fur et à mesure. Ils mangent, boivent, parlent du passé… en attendant la partie de chasse organisée par Vassili Alexandrovitch Tchevtchenko. Bien que ce dernier soit devenu muet, il a gardé toute sa tête et son influence. Pour beaucoup d’entre eux, il est toujours le « cerveau ». C’est lui qui a organisé méticuleusement ces retrouvailles, et cette partie de chasse qui réunit tous ces hauts-fonctionnaires fait partie de son plan : elle servira de prétexte pour maquiller l’assassinat de Serguei Chavanidzé, plus jeune membre du bureau politique et certainement le plus ambitieux, en accident.

De la politique fiction

Manipulations, jeux de pouvoir, trahisons et intérêts personnels… Tout y est perceptible dans les relations qui unissent ces hauts-fonctionnaires autour de Tchevtchenko, pièce maîtresse de cet échiquier politique.

Bilal et Christin marquent un jalon dans l’histoire de la bande-dessinée. Ils l’inscrivent dans une époque marquée politiquement, avec des références à l’histoire sociale et économique du bloc de l’Est, des personnages complexes aux rapports très controversés, avec le mélange de la grande et de la petite Histoire… La réalité est là, tapie dans l’ombre, à l’abri des regards, elle sert de prétexte à cette fiction politique dessinée.

Parfois ardu, le scénario se laisse porter par le magnifique dessin de Bilal. « Partie de chasse » est l’album de la transition graphique. Les précédents (à l’exception de « La foire aux immortels ») étaient beaucoup plus hachurés, détaillés, la couleur était très délayée et pas porteuse de sens. Avec « Partie de chasse », Bilal épaissit sa peinture. Dans les scènes de chasse ; le froid est dense, le vent est lourd, il souffle dans le ciel bas et brumeux. Les hachures s’effacent au profit des couleurs qui sont plus pesantes. Les touches de blanc, de rouge, de jaune viennent apporter des tensions et les cases sont peintes comme des petits tableaux. Son style sera développé avec, plus tard, ses fameux albums sur la « Trilogie Nikopol » entre autres.

« Partie de chasse » fait partie de ces bande-dessinées qui ont marqué l’histoire du 9ème Art et le parcours de leurs auteurs. Le scénario de Christin, complexe par les relations qu’entretiennent les anciens membres politiques, a trouvé la force qu’il lui fallait dans le style graphique d’Enki Bilal.

Un « must have » à avoir impérativement dans sa bibliothèque.

Informations pratiques

  • Partie de chasse
  • Enki Bilal (dessin) et Pierre Christin (scénario)
  • one shot
  • Dargaud (réédité actuellement chez Casterman)
  • 1983

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