Il paraissait logique que « L’Origine » de Marc-Antoine Mathieu fasse l’objet du tout premier article de 1001 cases. Et de « logique » il en est question dans « L’Origine » mais plutôt d’une logique de l’absurde. Jugez plutôt.
L’humour a ses raisons que la raison ignore
Fonctionnaire au ministère de l’Humour, Julius Corentin Acquefacques (JCA) mène une vie ordinaire jusqu’au jour où il reçoit une page extraite d’un livre dont il est, malgré lui, le protagoniste principal. Et vous l’avez compris, ce livre s’appelle… « L’Origine » !
Notre héros prend alors conscience de sa condition de personnage au service d’une histoire dont le scénario est déjà écrit, et il réalise surtout qu’il existe dans un monde, celui de la BD, qui a ses propres codes et ses propres limites : celles des cases et du papier sur lequel il se trouve dessiné. Sauf que – et c’est là que se trouve le génie de Marc-Antoine Mathieu – ces limites vont exploser.
Et à ce niveau là, Marc-Antoine Mathieu s’en donne à cœur joie. Il use de stratagèmes pour faire vivre au lecteur (et au personnage) des sauts dans le temps grâce au procédé de la mise en abyme, il provoque des impressions de « déjà vu » grâce à des jeux de mise en page, et il explore les limites de la case et du découpage grâce au concept de « l’anti-case » que JCA va expérimenter malgré lui et que je vous laisse découvrir vers la fin de l’album.
Explorer les limites de la bande dessinée
« L’Origine » est la 1ère histoire de la série des JCA à poser les bases d’une réflexion et d’un discours sur le medium Bande-Dessinée. Cette réflexion, toujours très bien intégrée à l’intrigue, constitue une sorte de « méta-histoire » dans laquelle le fond et la forme sont inextricablement liés. Marc-Antoine Mathieu s’amuse à expliquer, avec une approche empirique et une logique scientifique, tout ce qui touche à l’imaginaire, à l’irrationnel et à l’absurde. Et ça marche !
« Tout parait logique, même quand les situations sont les plus loufoques. C’est le propre du rêve. » (Marc-Antoine Mathieu)
Ces réflexions se poursuivent avec ses albums suivants (« La Qu… », « Le Processus », « Le début de la fin… » et « La 2.333ème dimension »)
Ajoutez à cela quelques références empruntées à la littérature[1], à la BD[2] et au cinéma[3], et vous obtenez un chef d’œuvre, véritable OVNI de la BD, à découvrir absolument.
Notes et références
[1] : Franz Kafka pour son univers absurde mais aussi pour le nom du personnage. Phonétiquement, Acquefacques s’écrit [AKFAK] qui, prononcé à l’envers, devient [KAFKA]
[2] : « Little Nemo in Slumberland » de Windsor McCay (entre autres quand JCA tombe de son lit et se réveille, tout comme Little Nemo, mais aussi par certains décors aux architectures démesurées) et Francis Masse (pour toutes les références scientifiques ou pseudo-scientifiques)
[3] : « Brazil », le film de Terry Gilliam (pour son ambiance oppressante et son univers très procédurier)
Informations pratiques
- L’Origine
- Marc-Antoine Mathieu
- Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves (tome 1)
- Delcourt
- 1990