Ben Gijsemans, jeune auteur belge flamand, signe ici une première bande dessinée atypique à tous les niveaux. L’histoire d’un homme qui se réfugie dans la peinture pour se consoler de son existence solitaire.
De la nature morte au modèle vivant
Hubert Luyten est un homme seul. Seul dans la vie, seul dans son cœur. Il passe son temps à peindre et à flâner dans les musées à observer les œuvres de maîtres anciens. A Paris au musée d’Orsay, ou à Bruxelles au musée des Beaux Arts. Timide et très introverti, sa vie est monotone et grise comme le ciel peut l’être en Belgique parfois. Son quotidien semble être réglé comme une horloge : repas, télévision, lecture dans le canapé, visite au musée et peinture… Parfois il regarde par la fenêtre et aperçoit une jeune voisine qu’il observe comme il le ferait d’un tableau. Une vie désabusée donc, jusqu’au jour où une autre voisine, Madame Vandermeers, plus âgée mais aussi seule que lui, l’invite à boire un verre.
« La réalité est là, on modère ses exigences. Je voulais me marier avec James Dean, maintenant je veux seulement ne pas vivre seule. » (Madame Vandermeers)
C’est avec toutes ces scènes de la vie quotidienne qui ne sont habituellement pas montrées au lecteur, que Ben Gijsemans nous fait entrer dans la vie et dans la tête d’Hubert. Et puis il y a le rythme, lent, les cases très souvent silencieuses, répétées et immobiles, figées comme des statues ; tout est fait pour que l’on se synchronise avec Hubert, et que l’on prenne le temps d’observer chaque case, chaque détail. On se demande ce qui passe par la tête de ce monsieur qui devient très rapidement attachant de par sa timidité.
Grimé d’une moue plutôt triste depuis le début, Hubert esquisse enfin un sourire sur la dernière case car le déclic est arrivé : de la « nature morte » il passe au « modèle vivant ». Je n’en dis pas plus.
Une fenêtre ouverte sur le monde
Dans « Hubert », les clins d’œil sont porteurs de sens : quand Hubert allume la télé, il tombe sur « La ruée vers l’or » de Charlie Chaplin [1]; la voisine qui l’invite à boire un verre a une copie de « L’Olympia » de Manet [2] dans son salon; quand Hubert observe une autre voisine, plus jeune, c’est par sa fenêtre qu’il la regarde[3]…et sûrement d’autres que je n’ai pas encore remarqués.
Les planches sont, elles aussi, à part. Les cadrages alternent une perspective très accentuée (dans la cage d’escalier notamment) avec des vues frontales solidement ancrées et équilibrées (lorsqu’il discute dans le salon de Mme Vandermeers). Le trait est fin et précis, les couleurs sont un peu passées, ternes, à l’image de la vie d’Hubert. Je ne sais pas quelle technique a utilisé Ben Gijsemans mais il a fait preuve d’une grande richesse dans le traité graphique. C’est assez atypique, tant sur le fond que sur la forme, et c’est très réussi.
Gijsemans signe là une histoire discrète et intime qui se détache de ce que vous trouverez sur les étalages des libraires. Hubert, ou la solitude d’un homme qui trouve une échappatoire grâce à la peinture.
Une très belle première œuvre pour Ben Gijsemans.
Informations pratiques
- Hubert
- Ben Gijsemans
- one shot
- Dargaud
- 2016
En savoir plus sur l’auteur.
Notes et références :
[1] La ruée vers l’or est un film muet, en référence à l’attitude d’Hubert.
[2] « L’Olympia » est un des tableaux qu’Hubert est allé voir au musée d’Orsay à Paris, et lorsque Mme Vandermeers s’offrira à lui, elle sera dénudée sur son lit, telle « L’Olympia » de Manet
[3] On peut voir une référence à Alberti qui, dans son traité « De Pictura » (1435), parle de la peinture comme une fenêtre ouverte sur le monde, « une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire »