Lorenzo Mattotti et Jerry Kramsky ont donné vie à un monde fantastique peuplé d’êtres étranges. Plus de 13 ans après ses premiers dessins, « Guirlanda » voit le jour sous forme d’album. Plus de 380 pages de poésie dessinée en noir et blanc.
Un récit initiatique
Les Guirs, mi-hommes mi-animaux, sont des êtres pacifiques qui vivent en harmonie avec la nature dans le monde de Guirlanda. Mais depuis plusieurs jours, Hippolyte, fils du chamane Zacharie, est sans nouvelle de sa femme, Cochenille. Alors qu’il part à sa recherche vers la lagune aux nids, il tombe dans la gorge du Mont Rauque qui, fou de rage, lance une malédiction et inonde la vallée. Dans la même nuit, Cochenille accouche d’une petite fille, Albine.
Alors qu’Hippolyte retrouve finalement sa femme et sa fille, le chamane a une vision : pour conjurer le sort et libérer Guirlanda, Hippolyte doit retrouver le cœur du Mont Rauque, caché dans un endroit secret par-delà les frontières de Guirlanda. Alors qu’il part à sa recherche, « Lent des pinces », une limace du marécage vient au village des Guirs et accuse la fille d’Hippolyte d’être à l’origine de ce malheur. Sous l’influence de son miel vénéneux, il convainc les Guirs qui perdent tout discernement et veulent se débarrasser d’Hippolyte et de sa famille. Hippolyte part seul à la recherche du cœur de la montagne. Hors du monde de Guirlanda, sa quête semble être impossible…
Un bestiaire merveilleux
Le monde de Guirlanda fourmille d’étonnantes créatures. Dans sa quête, Hippolyte rencontrera les singes de la pluie, l’arbre qui marche, les museaux fripés, l’oiseau du destin, le centaure Proxima qui le conduira chez l’Ermite… On sent que Mattoti a pris beaucoup de plaisir à imaginer et dessiner tous ces animaux aussi étranges que poétiques.
Et dans cet univers singulier, les clins d’œil à la littérature, à l’art et la mythologie sont nombreux : Nocher qui transporte les morts sur le fleuve [1], Hippolyte qui est avalé par une baleine d’air [2], les habitants de Guirlanda qui vivent en harmonie avec la nature[3]… L’histoire prend parfois une connotation religieuse et le travail de Mattotti me fait penser à celui de Gustave Doré lorsqu’il a illustré la Bible. Et pour ne rien gâcher de ce travail d’orfèvre du dessin, Jerry Kramsky apporte juste ce qu’il faut de texte pour laisser la part belle au visuel.
« La plume c’est un objet très sensible. Ca peut trembler, ça peut être très fort, très énergique, mais ça peut être très léger et très doux. » (source : France Inter)
Une ligne sublime
Mattoti développe une esthétique de la ligne avec une sensibilité du trait que seule la plume lui permet. Mais contrairement à « Stigmates » où le dessin à la plume était le reflet d’une colère envers le monde, « Guirlanda » est plus harmonieux, plus rond, plus doux. Chaque trait est comme un enveloppement qui donne à chaque case une rondeur et une grâce apaisantes. Les dessins contiennent du mouvement, ce qui confère à l’ensemble une énergie positive et une grande dynamique. Certaines cases sont tellement pures et harmonieuses qu’elles frôlent le sublime.
Mattotti et Kramsky ont pleinement réussi leur pari. « Guirlanda » est une fable légère portée par un dessin sublime, c’est un régal pour les yeux, du véritable nectar pour les amateurs de dessin.
Informations pratiques
- Guirlanda
- Lorenzo Mattotti (dessin) et Jerry Kramsky (scénario)
- one shot
- Casterman
- 2017
Notes et références :
- [1] Charon dans la mythologie grecque, le « nocher des enfers ». Il devait, moyennant finance, faire passer sur sa barque les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Styx pour rejoindre le séjour des morts, sachant que quelques personnes non mortes ont réussi à passer…
- [2] comme Pinocchio qui et avalé par Monstro. A noter également que Mattotti a illustré Pinocchio de Carlo Collodi.
- [3] L’auteur parle des « Mondes d’Edena » de Moebius, des « Moomins » de Tove Jansson, mais on pourrait rajouter des tableaux comme « La joie de vivre » de Pablo Picasso par exemple.