Alph’art du meilleur album à Angoulême en 1996, « L’autoroute du soleil » est un chassé-croisé qui nous emmène du Nord au Sud de la France, depuis les derniers hauts-fourneaux de Nancy jusqu’aux somptueuses villas du Sud de la France en passant par les HLM de la banlieue lyonnaise.
Cours camarade, le vieux monde est derrière toi !
Bien que publié en 1995, « L’autoroute du soleil » trouve sa genèse quelques années auparavant, en 1988 exactement, lorsque Baru publie « Cours camarade ». Mais ce format de 48 pages était trop court pour Baru qui avait d’autres ambitions :
« J’étais à l’étroit dans les formats traditionnels de la BD, qui empêchent de développer des situations au-delà des archétypes et poussent au style elliptique. ‘Cours camarade’ est donc un squelette de course poursuite. ‘L’ autoroute’ en reprend la trame dramatique – deux types et des tarés à leurs trousses- et développe ses potentialités : récit plus complexe, situations plus fines, fausses consécutions, personnalités moins manichéennes. »
(source : BD Paradisio)
Mais avec « Cours Camarade », Baru pose les premières briques d’un récit qu’il va enrichir et développer au fil des années. Finalement composé de plus de 400 pages, « L’autoroute du soleil » est publié 7 ans plus tard, en 1995 chez Casterman. La traque peut commencer !
Une chasse à l’homme effrénée…
Issu d’un milieu populaire en Lorraine, Karim est fils d’immigrés nord africains. Il est fan des années 50 et voue un amour inconditionnel aux femmes. Alexandre est petit, roux, introverti et voue une admiration sans borne à Karim. Ces deux mecs à l’avenir incertain vont voir leurs destins se sceller un soir après un meeting de « l’Elan National Français ». Lors de ce meeting, le docteur Raoul Faurissier voit sa carrière de futur responsable local du Parti s’écrouler, et surprend sa femme peu de temps après en plein adultère avec Karim dans le domicile conjugal.
D’abord l’anéantissement d’une carrière, et ensuite l’humiliation. Et par un maghrébin en plus… C’en est trop pour Faurissier. Le désespoir et la colère se transforment en haine, rien ne pourra plus l’arrêter et la chasse à l’homme est lancée.
« Tu vois macaque, tes copains m’ont mis le goût du sang dans la bouche… Ils ont eu tort, parce que maintenant, j’te lâcherai plus… C’est comme si t’étais mort ! »
…avec la réalité sociale dans le rétroviseur
Dans cette histoire pleine de rebondissements, Baru adresse pas mal de sujets qu’il affectionne : mixité sociale, immigration, racisme, sexe… Tout est réuni pour former un cocktail burné et explosif dans ce « road-BD » qui nous trimballe à toute berzingue dans une France sous tension et très contrastée.
A ce titre, il dessine une galerie de portraits dans laquelle tous les protagonistes ont des « tronches » exceptionnelles : petites frappes aux sales gueules de voyous, VRP à la moustache façon Clark Gable, ermite soixante-huitard complètement perché, vieille rombière grosse et aigrie qui contraste avec sa fille aux « gros nichons » comme le dit Baru, et qui est très (très) ouverte (pas que d’esprit…)
Et même si les personnages lorgnent vers la caricature parfois, le contexte lui, est très bien ancré dans la réalité, qu’elle soit sociale (les HLM de la banlieue Lyonnaise, les mines de Lorraine…) ou environnementale avec les décors autoroutiers qui sont ultra-présents (station Total, Hôtel Mercure, magasin Norauto…)
Un style manga ?
J’ai lu sur certaines chroniques que Baru se serait inspiré du manga (est-ce un rapport avec sa première publication au Japon chez Kodansha ?) Je ne connais pas bien le manga mais ayant lu d’autres albums de Baru, je ne vois pas trop en quoi son style sur « L’autoroute du soleil » aurait pu y emprunter. Cet album est, selon moi, du « 100% Baru » dans le style graphique, dans le punch du découpage et dans la trogne des personnages.
Dix ans après son prix du Meilleur Premier Album à Angoulême pour « Quéquette Blues », Baru signe ici un album qui en laissera plus d’un le cul par terre. Les 400 pages se dévorent tout comme se déroule l’histoire : à toute blinde !
Vous voyez lorsque vous roulez à 130 km/h, que vous ouvrez la fenêtre de la voiture et que vous mettez la tête dehors ? Et bien avec la lecture de « L’autoroute du soleil » c’est pareil : ça décoiffe mais ça fait tellement de bien…
Un classique à lire absolument.
Informations pratiques
- L’autoroute du soleil
- Baru
- one shot
- Casterman
- 1995
Dans la Préface du recueil Noir, chez Casterman, Baru souligne que la demande de Kodansha l’avait poussé à explorer l’usage du noir et blanc. Il avait ainsi développé un « mode soft, en demi-teintes, sans doute pour ne pas avoir à affronter la radicalité de [son] maître Munoz. » Ce style lui a permis d’aboutir dans la recherche « d’un graphisme nerveux au service d’une narration dynamique et réactive ».
Pas d’influence Manga à proprement parler donc, mais une collaboration qui a enrichit son style.