Sabela vient de divorcer et se met en tête de retrouver les traces de Francisco, son grand-père qui a quitté l’Espagne pour se rendre à Cuba dans les années 1930. Elle se rend alors dans son village en Galice et va rencontrer Fidel, un vieil homme au passé quelque peu mystérieux qui l’aurait peut-être connu. Mais les souvenirs de Fidel s’effritent, et certains habitants du village ont des doutes sur la sincérité de Sabela. Est-elle vraiment à la recherche d’informations sur son grand-père, ou bien est-elle intéressée par le soi-disant héritage caché de Fidel ?
Nous sommes ce dont nous nous souvenons
Pour savoir qui l’on est, on dit souvent qu’il faut savoir d’où l’on vient. Mais encore faut-il se souvenir de tout cela, et bien distinguer « ce qui s’est vraiment passé » de « ce dont nous nous souvenons ». Fidel est victime de cela : des souvenirs lui reviennent peu à peu mais il ne peut pas affirmer que ce sont les siens.
Très souvent, il convoque des fantômes du passé dans sa vie de tous les jours. Dans son salon, on voit alors fréquemment apparaître Rosalía et Xaniña, deux jeunes femmes qu’il a certainement connues lorsqu’il était jeune, ou bien encore Ramón, un homme qu’il a connu sur un bateau et dont il semble être l’ami. Et parfois, cela donne des scènes totalement surréalistes et pleines de poésie, comme lorsque les baleines viennent nager dans le ciel de la vallée lorsque le vent, l’Ardalén, souffle intensément.
Tous ces souvenirs du passé qui ressurgissent dans le présent forment une sorte de « couche narrative » supplémentaire qui vient se superposer à la réalité. Dans cet interstice, qui forme un second niveau de lecture, Miguelanxo Prado laisse trainer des indices qui nous permettent de reconstituer peu à peu le passé du grand-père de Sabela. En plus, il y a des preuves tangibles (articles de journaux, documents administratifs relatant tel ou tel événement…) qui viennent dans ce même espace jalonner le récit et attester du bien-fondé des souvenirs de Fidel. Bien qu’assez inhabituelle, cette construction narrative à 3 niveaux fonctionne très bien sans pour autant rendre l’histoire plus compliquée à comprendre.
Une épaisseur graphique qui cache des souvenirs
Ce qui m’a frappé lorsque j’ai feuilleté Ardalén, c’est le rendu graphique de chaque page. Prado travaille beaucoup ses dessins, mélange les outils et les techniques, et chaque case est le fruit d’un travail long et minutieux (premier crayonné, passage aux crayons de couleur, utilisation plus ou moins diluée de l’acrylique pour créer des effets, papiers colorés…)
Chaque couche graphique recouvre l’autre avec plus ou moins de transparence et de légèreté, et l’ensemble forme comme une épaisseur qui fait écho aux différents souvenirs du vieil homme. Les rêves de Fidel, ses évocations du passé… Plein de souvenirs sont enfouis là, dans sa mémoire, coincés entre les moments de mélancolie et de solitude. Et tout cela se retrouve dans ce millefeuille graphique, chaque couche étant une réminiscence du passé du vieil homme.
Une histoire qui laisse son empreinte
Ardalén est un récit onirique et mélancolique, à la fois merveilleux et triste. Prado alterne les passages de souffrance du vieil homme avec des moments d’une très grande poésie. La peine de Sabela disparaîtra avec les souvenirs joyeux de Fidel lorsqu’il retrouvera peu à peu la mémoire, et Sabela héritera du plus grand trésor de Fidel : ses souvenirs.
Les dernières pages, presque muettes, sont d’une plénitude quasi-parfaite.
Ardalén m’a fait penser à Daytripper (dont j’avais déjà parlé sur 1001cases) même si le traitement est vraiment différent. Autant dans Daytripper, le scénario en lui-même est porteur d’une certaine poésie, autant dans Ardalén, la poésie est présente dans toutes les rêveries et les instants d’inconscience de Fidel. Prado nous fait passer du sourire aux larmes, il nous transporte dans la mémoire de Fidel et on referme le livre avec le sentiment d’avoir, peut-être, aidé un peu le vieil homme à retrouver la mémoire avant de partir, emporté par le vent, rejoindre les baleines.
Informations pratiques
- : Ardalén
- Miguelanxo Prado
- one shot
- : Casterman
- 2013
Pour en savoir plus sur Miguelanxo Prado : son site et son blog.