Xavier Guilbert, de l’excellent site du9.org, a mis en ligne sa version 2012 de « Numérologie », son analyse du marché de la BD.
Ce dossier, très fourni en chiffres, dresse un panorama qui est un des plus complets (sinon LE plus complet) sur le marché de la bande dessinée. Pour celles et ceux qui ne voudraient pas tout lire (122 pages en PDF), voici la synthèse « en quelques mots » ci-dessous :
Crise, ou pas crise ? Depuis quelques années, la question reste en suspens au sujet du marché de la bande dessinée qui réussit encore en 2012 cet étrange paradoxe de reculer tout en continuant sa progression. Cependant, l’augmentation du chiffre d’affaires due à une forte appréciation des prix moyens ne saurait occulter l’érosion des ventes en volume. Alors que l’on constate la désaffection progressive d’un lectorat qui, globalement, se montre relativement peu attaché à cette pratique culturelle, le portrait qui s’en dégage n’est pas particulièrement encourageant pour les années à venir.
Si le début des années 2000 avait été porté par le phénomène éditorial Titeuf, on observe aujourd’hui les limites du modèle des séries francobelges classiques basé sur une sortie annuelle, dont les dynamiques d’usure se retrouvent amplifiées par le désengagement important de la grande distribution en prise à ses propres difficultés structurelles. Le développement d’une approche patrimoniale afin de valoriser le fonds, ainsi que l’investissement sur de nouvelles catégories comme les comics ou le roman graphique restent par ailleurs des activités générant des ventes marginales.
La forte croissance du manga jusqu’en 2008 a un temps compensé le recul des albums, mais le segment a atteint sa saturation et décroît à son tour. Plus encore que pour les albums, on y constate une importante disparité entre quelques séries best-sellers qui concentrent la majeure partie des achats, et le reste de la production qui réalise des ventes se comptant souvent en centaines d’exemplaires. À moyen terme se pose d’ailleurs la question du renouvellement de ces best-sellers, dans un contexte éditorial japonais peu rassurant.
Dans un marché pourtant orienté à la baisse, la production de titres ne cesse d’augmenter. Si la multiplication des structures d’édition participe à cette évolution, il faut souligner le rôle actif joué par les grands groupes qui ont renforcé significativement le nombre de sorties dans l’espoir de maintenir leurs ventes, tant pour les albums que sur le segment du manga. Le poids de ces grands groupes dans la chaîne de distribution/diffusion fait d’ailleurs d’eux les principaux responsables de la surproduction qui fragilise aujourd’hui l’ensemble de la chaîne en amont des libraires (auteurs, éditeurs), et réduit de plus en plus ces derniers à un rôle de manutentionnaire.
La révolution numérique (annoncée dès 2010 alors que Livres Hebdo intitulait son dossier annuel sur la bande dessinée « Un virage très Net ») commence à peine à s’amorcer. Avec la plateforme izneo, les éditeurs ont mis en place une offre légale peu satisfaisante au regard de la production globale. Leur investissement dans une création pleinement numérique reste encore largement exploratoire et n’a donné lieu qu’à un nombre très limité de réalisations. Les auteurs, quant à eux, se sont montrés beaucoup plus actifs et plusieurs initiatives ont vu le jour ces derniers mois ; la plupart d’entre elles s’appuient sur un modèle de lecture sur abonnement pour assurer leur financement. Enfin, sur le segment du manga, où les pratiques du scantrad sont particulièrement présentes, les éditeurs français restent largement tributaires des initiatives de leurs homologues japonais.
Si c’est la question des droits numériques qui a été à l’origine des premières tensions entre auteurs et éditeurs, les débats qui secouent le microcosme depuis trois ans et qui prennent parfois les allures d’une guerre de tranchées, ont mis en lumière la paupérisation croissante des auteurs, et révélé un malaise qui est sans doute plus profond que la seule question numérique.
L’ensemble de ces évolutions met en lumière une véritable crise d’identité du médium, tiraillé entre l’image populaire construite autour des années 1960, et ses transformations modernes. Au coeur des interrogations se trouve la question de l’édition de bande dessinée, dont le fonctionnement reste empreint de l’héritage des journaux de bande dessinée, mais qui doit désormais s’adapter à une réalité économique plus proche de la situation de la littérature.
A mon sens, ce dossier (qui se veut le plus objectif possible) est un bon complément au DVD « Sous les bulles » dont j’ai mentionné la sortie dans un précédent billet. Une bonne lecture pendant ces quelques jours de vacances.