Avec cette libre adaptation d’un roman d’Alexis Tolstoï, Pascal Rabaté plonge au cœur de la Révolution russe avec cette fresque pleine de noirceur sur la condition humaine du début du siècle.
Le crâne qui parle
Petrograd, février 1917. C’est le début de la Révolution.
Alors que Siméon Ivanovitch sauve la vie d’un riche antiquaire anglais, il le retrouve quelques jours plus tard blessé et à demi-mourant. Profitant de la situation, il met fin à son agonie et lui dérobe la liasse de billets dont il connaissait la cachette. Cela marquera à tout jamais la vie de Siméon Ivanovitch : cette « chance morbide » ne le quittera plus jamais. Grâce à cet argent volé, il quitte Moscou en octobre 1917 et s’invente une noblesse de fortune. Désormais « Comte Nevzorof », il fera fortune dans les casinos clandestins avec Rtichtchev, son associé. Mais alors que la révolution gagne du terrain, Siméon est chassé par les bolchevicks et finira en exil à Istanbul. Sans un rouble et alors que les cafards galopent autour d’eux, c’est en prison avec Rtichtchev qu’ils auront l’idée de leur prochaine affaire.
Phoenix qui renait de ses cendres
Siméon est ambitieux mais lâche, chanceux mais faible. C’est un opportuniste dont l’instinct de survie est plus développé que les autres. Tour à tour comptable à Pétrograd, directeur de casino clandestin à Moscou, propriétaire terrien près de Kharkov, agent du contre-espionnage à Odessa et proxénète à Istanbul, il a toujours eu des coups de pouce du destin et sa vie est comme « portée » par les aléas de l’Histoire. Telle une marionnette, il est manipulé par le destin et à chaque fois, il échappe de peu à la mort soit par chance, soit par trahison. La tsigane qui lui avait prédit de la chance et de la fortune pendant la Révolution avait donc raison :
« Tu n’es qu’un cafard, mais tu es sous le signe d’Ibicus, le crâne qui parle… Cours te préparer ! L’Histoire arrive, cours ! […] Quand le monde s’écroulera dans le feu et le sang, quand la guerre rentrera dans les maisons, quand le frère tuera le frère, toi tu deviendras riche ! Tu vivras des aventures extraordinaires, mais tu seras riche ! »
Des cases sculptées dans la lumière
Avec Ibicus, Rabaté fait évoluer son style graphique. Le dessin au trait s’efface au profil de noirs et blancs nerveusement étalés. Les tons gris lui permettent toutes les ambiances lumineuses, et grâce aux grandes cases, Rabaté arrive à faire rentrer la lumière et à emprisonner la nuit, le feu et le sang. Il s’est inspiré du cinéma soviétique et expressionniste avec tout ce que les contrastes d’ombres et de lumières et les plongées et contre-plongées excessives peuvent lui offrir. Tout comme ses cadrages aux angles obtus et aux perspectives déformées, Siméon est fin et anguleux. Il se faufile telle une ombre parmi les mortels pour échapper à un destin tragique.
Né d’un malentendu (Rabaté a acheté Ibicus dans un marché aux puces en pensant être tombé sur un livre de Léon Tolstoï, avant de se rendre compte qu’il s’agit d’Alexis Tolstoï…), cette histoire lui a porté chance. Primé à différentes occasions et notamment à Angoulême (Alph’Art du meilleur album en 2000 pour le tome 2), cette fresque en 4 tomes constitue un jalon important dans son travail d’auteur de bande dessinées.
A dévorer de toute urgence.
Informations pratiques
- Ibicus
- Pascal Rabaté
- Ibicus (4 tomes : Livre 1, Livre 2, Livre 3, Livre 4)
- Vents d’Ouest
- 1998 à 2001