En adaptant Moby Dick d’Herman Melville, Christophe Chabouté s’attaque à un classique de la littérature américaine déjà adapté maintes fois par des auteurs de renom (Battaglia, Gillon, et Eisner pour ne citer qu’eux…) Plus de 800 pages qu’il faut assimiler et retranscrire en bande dessinée tout en conservant l’essentiel de l’œuvre. Un véritable défi que s’est lancé le dessinateur alsacien.
Que crève la baleine… ou trépasse la baleinière !
Ismaël est un jeune garçon attiré par l’océan qui arrive sur l’île de Nantucket avec une idée en tête : partir chasser la baleine. Dans une auberge du port, il fera connaissance avec Queequeg, un indien cannibale qui, lui aussi, cherche un bateau pour être embauché comme harponneur. Tous deux vont embarquer à bord du Péquod, un baleinier commandé par le mystérieux capitaine Achab. Mais une fois sur l’océan, ce dernier n’a que faire des baleines et de la précieuse huile qu’on en tire : il veut tuer Moby Dick, le cachalot blanc qui lui a arraché une jambe dans le passé. Dans sa quête de vengeance, Achab va embarquer tout l’équipage au péril de leurs vies.
Raconter avec des silences ce que Melville a raconté avec des mots
Dans sa version de Moby Dick, Christophe Chabouté dit avoir conservé les mots de Melville (même s’il a forcément fait des choix dans ce qu’il voulait mettre en scène) Les dialogues un peu ampoulés de l’époque ancrent bien le récit dans le contexte et se comprennent sans effort. Et c’est par leur absence que Chabouté met l’accent sur la psychologie des personnages. Sur les premiers chapitres, lorsque le capitaine Achab ne s’est pas encore montré à l’équipage, Chabouté alterne des pages avec pas mal de dialogues avec des séquences complètement muettes pour faire monter la pression, pour faire ressentir les craintes et les peurs des membres de l’équipage du Péquod vis-à-vis du capitaine Achab.
« Ce qui devait être impressionnant est ce que l’on ne voit pas : le regard interdit de l’équipage, celui d’Achab, le bruit de sa jambe d’ivoire sur le pont [1] »
Dessiner un huis-clos n’est pas chose aisée car on peut vite ennuyer le lecteur en montrant toujours avec le même paysage. Mais Chabouté s’en sort bien notamment grâce au découpage en chapitre courts qui aide à apporter du rythme et permet d’accentuer chaque événement qui prend place au sein du récit. Et au fil des chapitres, il arrive à bien faire monter la tension. Achab devient de plus en plus nerveux quand il croise des navires qui ont vu des baleines alors qu’il n’a que Moby Dick en tête. Il devient carrément mystique lors d’une scène de tempête pendant laquelle son harpon s’enflamme sous le feu de Saint Elme. L’apothéose arrive sur les 3 derniers chapitres, lorsque le monstre marin apparaît enfin. La chasse qui s’étale sur 3 jours est bien menée et là encore, Chabouté alterne les cases « calmes » lorsque la baleine sonde, et les dessins très mouvementés lorsque la baleine remonte à la surface et renverse tous les navires.
Un ultime combat
Graphiquement, Chabouté distille son dessin au trait avec un traitement N&B très tranché sauf sur les premières pages (lorsque la neige et le froid tombent sur le village) qui m’ont plus fait penser au style de Dino Battaglia (peut-être un clin d’œil à sa version de Moby Dick ?) Le fait d’avoir 2 tomes a permis à Chabouté de bien planter le décor et de proposer certaines compositions en tête de chapitre qui sont plus grandes que les autres dessins et qui fonctionnent très bien. Et même si j’ai parfois regretté l’absence de doubles pages ou de dessins plus grands (notamment pendant le combat final), l’ensemble est visuellement réussi.
Cette version de Moby Dick par Christophe Chabouté est le fruit d’un beau travail à la fois graphique et scénaristique, et surtout un défi relevé pour un dessinateur qui n’a jamais mis les pieds sur un bateau [2] !
Informations pratiques
- : Moby Dick (d’après l’oeuvre de Herman Melville)
- Christophe Chabouté
- 2 tomes (Livre premier, Livre second)
- Vents d’Ouest
- 2014 (pour les 2 tomes)
Notes et références :
[1] Source : Les petits miquets
[2] Source : Le meilleur de la BD, blog d’Eric Guillaud et Didier Morel