Après avoir fait un malaise sur une plage, Silvano Landi, écrivain reconnu, se retrouve hospitalisé. Dépressif, il est diagnostiqué schizophrène par les médecins et sera interné pendant plusieurs mois.
Première lecture de Gipi et première claque. « Vois comme ton ombre s’allonge » est une hallucination narrative et graphique. C’est un récit rhizomatique qui se constitue morceau par morceau, flashback après flashback, sans chronologie ou hiérarchie. D’un coup, des fragments de souvenirs jaillissent dans la tête de Silvano Landi et qu’ils soient vrais ou imaginaires, on reconstitue peu à peu l’histoire de cet homme grâce cet enchevêtrement complexe.
De cet imbroglio de souvenirs, Gipi en tire une technique scénaristique à plusieurs niveaux. Ainsi, sur une seule page, on peut avoir plusieurs histoires qui se superposent et qui forment des couches narratives différentes, chacune avec son propre espace temps. Parfois ces histoires se font écho de suite, parfois le lecteur doit attendre quelques pages pour en comprendre la signification. La femme de Landi qui le quitte dans une station essence, sa fille qui le retrouve un soir totalement nu dans la rue, cet arbre mort au milieu d’un champ et les lettres que son grand-père écrivait alors qu’il était dans les tranchés (certainement dans la crise bosniaque du début du siècle). Tout ceci est confus dans le cerveau de Landi, et Gipi nous embarque avec maestria dans sa tête.
Visuellement c’est sublime. D’un côté des paysages à l’aquarelle à la limite de l’abstrait, des coups de pinceau trempés de couleur qui sont visibles et assumés, la feuille de papier qui est autant imbibée de flotte que les tranchées étaient humides, froides et boueuses. De l’autre, il y a ce trait, abrupt et sec, lorsque les psychiatres parlent à Landi, et puis un dessin plus « griffé » lorsqu’il se trouve avec sa fille ou seul face à sa conscience. En voyant tout cela, on peut penser à l’expressionniste allemand Otto Dix, à certains passages très noirs dans « Blast » de Larcenet. On peut aussi y avoir une ressemblance avec le trait de Pedrosa ou celui de Mattotti…
Au final, il y a certainement un peu de tout cela mais il y a surtout quelque chose de très personnel et emprunt de mélancolie. « Vois comme ton ombre s’allonge » est une histoire émouvante et dure à la fois. Une histoire qui ne devrait pas vous laisser indifférent tant elle est intime, fragile et sensible.
Informations pratiques
- Vois comme ton ombre s’allonge
- Gian Alfonso Pacinotti, dit « Gipi »
- one shot
- Futuropolis
- 2014
Pour en savoir plus sur Gipi, son blog en italien.